Infanticides: au-delà du crime, le poids d’une décision

Les infanticides constituent un véritable problème dans la société sénégalaise. Tous les jours ou presque, une femme est condamnée pour ce crime dans les tribunaux. Mais au-delà de l’acte, des nombreuses raisons sont avancées pour explique ce geste désespéré.

En novembre 2021, la DAP révèle dans son rapport que 24% des femmes détenues le sont pour infanticide. Mais derrière cet acte ultime, que certains s’empressent de qualifier de « criminel » ou « d’ignoble », il faut reconnaître que parfois, c’est poussées par une véritable détresse, que les femmes arrivent à prendre cette décision extrême, au terme d’une douloureuse grossesse. Entre le refus de paternité de la part des hommes auteurs de ces grossesses, l’interdiction de l’avortement médicalisé, le regard et le rejet de la société, certaines se sentent presque forcées d’en arriver là. Des femmes parfois plus victimes que coupables d’une société qui ne leur fait aucun cadeau.

Refus de paternité : le mal-être des femmes rejetées

Elles sont nombreuses à être pointées du doigt, ces femmes qui ont contractées une grossesse et dont l’auteur a fui ses responsabilités. Tout comme leur enfant, elles sont victimes de refus de paternité. Une épreuve qui peut inciter à vouloir se débarrasser de leur enfant. C’est une des raisons qui a poussé les défenseurs des droits de femmes a engagé la lutte pour une révision des dispositions et réglementations discriminatoires chez les femmes et les filles. Selon le magistrat, Julien Gandou, au Sénégal, le Code de la famille interdit la recherche de paternité. « C’est un texte qui a énormément des difficultés par rapport à certains enfants qui sont nés dans l’interdiction assez particulière, et qui ne peuvent pas rechercher leurs parents (père), encore moins cette possibilité n’est pas offerte à leur maman pour pouvoir les aider à accéder à cette reconnaissance. C’est une question compliquée sur laquelle les femmes, mais aussi toutes les personnes, militent en faveur de la promotion de la progression des droits des femmes essayant de faire en sorte que le législateur sénégalais puisse revoir cela », dit-il, soutenant que cette interdiction doit être revue. « Il y a des personnes qui font des études sur les obstacles qui se posent à ces réformes. Il préconise de rencontrer toutes les personnes susceptibles d’aider à parvenir à cette réforme, discuter avec les religieux, les chefs traditionnels, toutes les entités qui sont à l’origine de ces obstacles, rajoute-t-il. »

Se retrouver mère célibataire parfois sans aucun revenu alors que l’auteur de la grossesse ne peut pas être forcé à prendre ses responsabilités est un poids trop lourd pour certaines.

Code de la famille: la grosse épine

Pour sa part, Cécile Diatta Senghor, spécialiste en droits des femmes et plaidoyer du projet Voix et Leadership des Femmes au Sénégal (VLF-Sénégal), mis en œuvre par le Centre d’Étude et de Coopération Internationale (CECI), pense qu’il urge de réviser les textes et réglementations discriminatoires chez les femmes. Elle est d’avis que la grande discrimination envers la femme reste le Code de la famille, notamment en son article 196, qui interdit la recherche de paternité.

Selon elle, « beaucoup d’actions ont été faites dans le cadre de l’amélioration des droits des femmes dans le pays. Aujourd’hui, il est important de renforcer les actions de communication et de sensibilisation envers les populations sur la question, en tenant compte des facteurs socioculturels du Sénégal. Il faudra sensibiliser la société dans son ensemble, et particulièrement les communautés de base, les mouvements associatifs de femmes, les leaders d’opinion (chefs coutumiers et religieux, autorités administratives, autorités locales), etc. ». Il faut aussi promouvoir, au niveau des communautés, les changements de perceptions, de croyances, d’attitudes et de comportements qui favorisent les réformes juridiques nécessaires. « Il faudra également mutualiser les efforts et les ressources de toutes les parties prenantes et les acteurs qui interviennent sur la question de la réforme du Code de la famille en général, mais aussi sur l’adoption d’une loi autorisant la recherche de paternité au Sénégal », indique-t-elle. 

A son avis, le principal obstacle juridique pour faire reconnaître un enfant par son père, c’est la disposition qui donne le droit ou la possibilité à l’homme de refuser une paternité, même si elle est avérée et prouvée par la science. « Il n’y a pas plus grande discrimination envers la femme que cette disposition du Code de la famille. En même temps, on exige de la femme de porter une grossesse, même si elle est issue d’un viol ou d’un inceste. Il n’y a pas plus grande aberration que celle-ci », déplore Mme Senghor. Parlant des conséquences de cette situation, le psychologue-conseiller Baye Dieng souligne que le refus de paternité ne favorise pas le développement psychoaffectif de l’enfant. Et pour lui, les dégâts commencent depuis la grossesse. Selon lui, du point de vue socio-anthropologique, « un enfant sans père », ou plutôt sans reconnaissance paternelle, est un enfant qui risque de grandir avec un statut social hybride et des rôles sociaux pas toujours acceptés. Les femmes subissent cette situation plus que les hommes, quoique scientifiquement, les responsabilités restent partagées entre les deux partenaires. Mais en matière de sexualité, les dérives sont plus tolérées par la société pour les hommes que pour les femmes. Cela peut sembler injuste, mais notre société fonctionne ainsi. Quand il s’agit d’enfant hors-mariage, la société a tendance à juger et condamner la femme en premier lieu, soutient-il. Cela constitue un frein à l’épanouissement de cet enfant, si toutefois il est laissé en vie.

La solution dans l’avortement médicalisé autorisée

Aujourd’hui, quelle serait les solutions pour essayer d’endiguer ces infanticides et sauver la vie de ces femmes et de leurs enfants. Le combat pour la légalisation de l’avortement médicalisée en cas de viol et d’inceste pourrait-il être un début de solution pour ces femmes qui portent les grossesses de la « honte » ? Subir un viol et être obligée de garder cet enfant qui vous rappelle quotidiennement le traumatisme subi est violent. Une double peine pour les victimes, qui parfois doivent continuer de vivre sous le même toit que leur violeur quand c’est un membre de la famille qu’elles n’ont pas pu dénoncer. De jeunes enfants parfois encore pré pubères risquent leurs vies tous les jours dans les salles d’accouchement parce que forcées de mener à terme une grossesse issue de viol. Des femmes qui développent une haine viscérale pour l’enfant innocent fruit d’un viol que la loi les force à garder… Pour ces victimes, pas de solution non plus car l’article 285 du Code pénal définissant l’infanticide comme étant « le meurtre ou l’assassinat d’un enfant nouveau-né », est puni de 10 à 20 ans de réclusion criminelle.

Aujourd’hui, le rapport entre les cas importants d’infanticides et l’interdiction de l’avortement, en cas de viol et d’inceste, n’est plus à démontrer. Même s’il a signé le Protocole de Maputo, adopté en 2003, permettant, en son article 14, l’avortement médicalisé, le Sénégal continue, dans sa loi, de l’interdire (article 98 de la Constitution).

Pour les coupables d’infanticides, une fois l’acte irréparable commis, la galère psychologique continue en plus de l’emprisonnement, car elles seront toujours désignées du doigt par la société.