J’ai toujours voulu jouer avec toute ma féminité et c’est ça qui fait le charme de mon jeu
Avec son instrument d’homme dans les mains, Maah Khoudia refuse de rouler des mécaniques et garde jalousement sa féminité. Une originalité qui fait d’elle une instrumentiste-compositrice recherchée par tous. Depuis quelques années, elle accompagne de nombreux grands noms de la musique et a gagné sa place incontestée dans la sphère musicale sénégalaise.
Qui êtes-vous ?
Je m’appelle Maah Keita, musicienne sénégalaise, instrumentiste-compositrice bassiste. Je suis dans la musique depuis une quinzaine d’années maintenant. Je suis aussi activiste en faveur des personnes atteintes d’albinisme, actrice, mannequin et modèle photo.
Comment est née votre passion pour la guitare basse ?
Je ne dirais pas que c’est une passion qui est née, car au début, mon père m’avait juste suggérée d’essayer cet instrument, je l’ai fait, ça a marché et il m’a beaucoup encouragé à me perfectionner. C’était très difficile au début, car la basse est un instrument très complexe, mais j’ai trouvé mes marques et aujourd’hui je ne peux plus m’en passer. Je viens d’une famille où tout le monde ou presque fait de la musique. Nous avions monté un groupe qui s’appelle Takeifa avec mes frères et c’est là où j’ai tout appris et fait mes premières scènes internationales. Nous avons à notre actif plusieurs albums et tournées internationales.
Quelle est la réaction des gens quand ils vous voient avec une guitare basse ?
Les réactions varient selon les lieux. En Europe par exemple ils sont habitués à voir des femmes jouer de la basse, donc ils ne sont pas étonnés. Par contre chez nous, c’est vrai que je suis une des premières et ceux qui connaissent la musique m’encouragent. Pour les profanes, ils voient juste une femme avec une guitare sans plus.
Au départ, cet instrument est une suggestion de votre père. Aujourd’hui qu’est-ce que vous ressentez en la jouant ?
Je ne saurais vraiment décrire mon sentiment. C’est vrai qu’au début quand je jouais j’étais à une phase de ma vie où j’aimais juste la musique en générale. Aujourd’hui je suis dans la peau d’une professionnelle qui a à cœur de bien faire son travail avec rigueur. Car ce n’est pas juste de jouer qui m’intéresse, mais plutôt le souci de bien le faire et d’être créative. Même si je suis la seule femme au Sénégal, je veux me mettre au même niveau d’excellence que les autres et je m’en donne les moyens.
On a souvent l’impression que l’instrumentiste est juste là pour accompagner les chanteurs, qu’en pensez-vous ?
En général, l’artiste emmène juste une idée musicale, mais derrière, toute l’architecture, tous les arrangements sont faits par les instrumentistes pour que le morceau soit bien agencé, pour qu’il y ait un ordre d’évènements dans les morceaux. La régulation c’est notre travail d’instrumentiste. C’est vrai que nous sommes souvent perçus comme les sous ouvriers des chanteurs, alors qu’au fond, le gros du travail, la fondation, c’est nous qui la construisons.
Je joue de la guitare basse comme une femme, parce que justement je suis une femme.
La basse est un instrument « masculin ». Vous sentez-vous comme une rebelle qui refuse le diktat imposé ?
De nature je suis une rebelle qui a toujours refusé qu’on puisse reléguer la femme à un niveau inférieur ou que les femmes s’accrochent à quelque chose de masculin pour se prouver quelque chose. J’ai toujours refusé cette mentalité. Je joue de la guitare basse comme une femme, parce que justement je suis une femme. J’ai toujours voulu jouer avec toute ma féminité et c’est ça qui fait le charme de mon jeu. Je refuse catégoriquement d’être la femme qui joue d’un instrument d’homme pour ressortir sa masculinité. Moi je joue comme une femme à 100%.
On vous découvre depuis quelque temps sur les podiums de mode ? Racontez-nous comment ça a commencé.
J’ai toujours aimé tout ce qui est mode et beauté, ce côté changement physique que ça apporte à la personne. J’aime sentir que je peux modeler mon corps et mon apparence sans avoir recours aux artifices et m’adapter à chaque situation. J’ai d’abord commencé par être modèle photos pendant plusieurs années et ensuite j’ai appris le métier de mannequin en intégrant une agence. Aujourd’hui j’ai fait quelques défilés et je me plais bien sur les podiums.
Première mannequin albinos, cela a-t-il été facile de vous intégrer ?
Les débuts n’ont pas été faciles, surtout pour les stylistes qui sont habitués à des filles aux profils standard (grandes, noires), alors que moi je suis de taille moyenne et je suis atteinte d’albinisme. Ce n’est pas facile car les stylistes ont besoin de ces profils qui parlent aux sénégalaises et moi je n’ai pas ce profil typique. Malgré tout il y a eu des stylistes qui ont voulu faire l’expérience et ça a marché apparemment puisque je suis souvent demandé aujourd’hui.
Votre présence incite-t-elle d’autres personnes atteintes d’albinisme à se lancer ?
Quand j’ai démarré, j’étais avec un ami atteint d’albinisme comme moi. Aujourd’hui il est au Etats-Unis où il fait des photos.
En parlant d’albinisme, vous avez une association ?
Elle s’appelle « Care albinos » et est active sur le terrain depuis une dizaine d’années. Nous faisons beaucoup dans la collecte de crème solaire et distribution, assistance médicale envers les personnes atteintes d’albinisme et de cancer de la peau. Mais nous faisons beaucoup plus dans la sensibilisation non seulement des personnes atteintes d’albinisme, mais surtout ceux qui les entourent (familles, écoles, milieux professionnels, etc.). On constate que les personnes atteintes d’albinisme ont encore un sérieux problème d’insertion professionnelle et nous nous battons pour que les choses changent.