Le dimanche 3 juillet dernier, le Sénégal a perdu une femme remarquable et les femmes, une alliée remarquable pour leurs combats. Partie un jour du Seigneur et quelques jours après une séance de travail sur les textes du Cored, Eugenie Rokhaya Aw Ndiaye aura consacré toute sa vie à sa foi chrétienne et au travail.
Tata Eugénie, comme l’appelaient affectueusement toutes ses admiratrices qui ont croisé sa route, aura marqué de son empreinte plusieurs générations de femmes. Toute sa vie, elle se sera battue contre les inégalités, l’injustice, mais surtout pour que les femmes en général, mais dans les médias en particulier, aient une place conséquente dans la corporation. « Ne laissez jamais personne vous dire que vous ne pouvez pas faire telle ou telle chose parce que vous êtes une femme, répétait-elle régulièrement pendant les rencontres avec les journalistes. Vous êtes aussi forte que ces messieurs, et parfois même plus. Battez-vous pour mériter votre place et arrachez les commandes ». Des mots qui ont toujours été un catalyseur pour des jeunes filles qui se sentaient laissées pour compte dans les rédactions, reléguées à des desks dits féminins. Sa force, ses encouragements, ses mots durs parfois pour réveiller les plus timides, ont été un coup de fouet qui a réveillé l’esprit combatif de nombreuses journalistes. En témoigne, la foule de publications sur les réseaux sociaux de femmes de médias suite à la disparation de Tata Eugénie. Toutes en choeur, pleurent cette alliée de taille, ce mentor, cette maman.
En 2005 lorsqu’elle devient la première femme directrice du CESTI, la joie est à son paroxysme chez les militantes des droits des femmes. Cette institution, chasse gardée des hommes depuis sa création, change enfin de visage et laisse entrevoir un avenir meilleur pour les femmes qui peinent à faire leur trou dans le milieu des médias. Eugenie Rokhaya Aw Ndiaye, connu comme une militante infatigable des causes féminines, va user de tout son poids pour essayer d’améliorer les conditions des femmes de médias, mais surtout leur insuffler le goût du combat pour atteindre leurs objectifs. Elle sait que rien n’est donné aux femmes et les pousse donc à donner le meilleur d’elles-mêmes pour déplacer des montagnes et se hisser au sommet. Car tata Eugenie est passée par là durant son parcours de journaliste et veut éviter à la nouvelle génération de vivre le même calvaire.
Quand elle devient journaliste pour le quotidien Dakar matin, qui deviendra ensuite le Soleil, la profession est encore très masculine et il n’est pas question de dévier de la ligne éditoriale. Pour cette forte tête qui n’a pas sa langue dans la poche, le divorce est inévitable en 1976 et son renvoi du journal acté. Mais elle ne baisse pas les bras pour autant et va travailler pour un autre journal, Afrique Nouvelle. Et c’est lors la conférence internationale des femmes à Copenhague (Danemark) en 1980, au contact de femmes fortes, qu’elle décide de porter son bâton de pèlerin pour les femmes journalistes francophones. A l’époque secrétaire de l’association des professionnelles africaines de la communication, elle organise un séminaire des femmes journalistes francophones. Ce sera la première pierre d’un combat qu’elle mènera jusqu’au bout de sa vie pour le bien être des femmes dans les médias.
Une femme de foi
Quand le travail ne le transportait pas hors de Dakar, elle ne manquait jamais de se rendre à la messe du dimanche. Membre influente de la communauté, le jour du Seigneur était sacré pour elle. Son décès un dimanche est sûrement un signe de sa communion avec Dieu qui lui aura permis de prendre les sacrements quelques heures avant son décès.
Journaliste pour le quotidien catholique Afrique Nouvelle après son renvoi du Soleil, elle ne quittera plus les instances de l’Eglise et consacrera sa vie à la cause de la foi. Responsable francophone de la communication pour la Conférence des Églises de toute l’Afrique dans les années 80, elle devient membre fondatrice de l’Académie des sciences religieuses, sociales et politiques lancée le 13 novembre 2021 à Dakar tout en étant militante au sein de l’Union catholique africaine de la presse (Ucap).
Elle part en laissant derrière elle de nombreux chantiers pour la cause féminine en cours et toute une communauté éplorée et inconsolable.
Doux repos tata Eugenie. Ton combat n’aura pas été vain et il se poursuivra avec la nouvelle génération.